BlackRock, un champion à suivre de près

Cette crise est mal nommée, car c’est une véritable catastrophe. Les crises sont passagères, les catastrophes sont durables, voire irrémédiables. Celle que nous vivons a été dans un premier temps comptabilisée en nombre de morts, puis en points de chute du PIB et de hausse du chômage, et ce sera bientôt en victimes de la famine. Règne de la survie, l’informalité tourne au désastre. On parle d’atterrissage en catastrophe et l’on a de bonnes raisons de pressentir que l’on ne va pas y échapper.

Quand Patrick Artus, l’économiste en chef de Natixis, en vient dans Le Monde à déclarer « Ce n’est pas la dette qui finance la crise, mais la monnaie », c’est qu’il se passe quelque chose de très renversant. Cela le conduit à prédire que la rançon de la création monétaire, qu’il considère inévitable si l’on veut éviter une crise de la dette publique qui serait le pompon, sera « l’instabilité financière et la hausse des inégalités », ainsi qu’à annoncer ce qu’il appelle « des tensions » pour ne pas leur donner de nom. Car, explique-t-il, « le monde de l’entreprise ne voudra pas que le modèle néolibéral soit remis en cause, tandis que le monde politique et les opinions voudront l’arrêter. »

On se sent toutefois autorisé à douter de l’attitude qu’adoptera « le monde politique » si l’on observe sa connivence avec le monde financier. L’activisme et les engagements du gestionnaire de fonds BlackRock illustrent au plus haut point la dépendance d’un « monde politique » dépassé par la complexité et l’opacité du système financier.

BlackRock, qui n’a rien inventé, reprend à son compte la stratégie d’influence de Goldman Sachs en s’octroyant les services d’anciens dirigeants politiques et banquiers centraux. Citons Philipp Hildebrand, anciennement en charge de la Banque nationale suisse, George Osborne, l’ancien ministre des Finances britannique, Stanley Fischer, un ex vice-président de la Federal Reserve de New York (le bras armé de la Fed à Wall Street), ou encore Friedrich Merz, qui dirigeait le groupe parlementaire de la CDU en Allemagne et visait la succession d’Angela Merkel.
Plus besoin de discrets « visiteurs du soir ».

BlackRock a aujourd’hui pris la place occupée par Goldman Sachs et JP Morgan en 2008 (*). Juste reconnaissance de la maitrise des arcanes financières de sa division de conseil Financial Market Advisory, le fonds engrange les contrats avec les gouvernements et les banques centrales. La Fed lui a confié la gestion de ses achats de milliards de dollars de titres, dont des Exchange Traded-Funds, le marché roi de BlackRock ! La Banque du Canada en a fait de même. Et la Commission européenne lui a confié les rênes d’un projet d’intégration dans la régulation bancaire de sa politique dite de « green business », en dépit des intérêts du fonds dans les grandes banques européennes et de son implication dans l’industrie pétrolière. Dans tous les cas, le conflit d’intérêt est criant et souligne plus que jamais l’interpénétration des cercles de décision politique et financier.

On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que BlackRock et ses concurrents aient pu échapper à toute régulation, au prétexte qu’ils ne sont que les gestionnaires de titres qu’ils ne possèdent pas, occultant la menace que ferait planer sur eux d’importants retraits de leurs clients. Ceux qui avaient investi dans des ETF adossés à des valeurs pétrolières se sont déjà brutalement retirés, qu’en sera-t-il demain quand d’autres secteurs économiques seront aussi durement atteints ? Cela mérite une réflexion qui n’est pas menée. Pourtant, il ne faut pas chercher très loin si l’on veut identifier les établissements financiers particulièrement systémiques.

Cerise sur le gâteau, BlackRock a développé une plateforme système répondant au nom évocateur d’Aladin, qui est désormais omniprésent dans « l’industrie financière ». Les plus grands acteurs, que ce soient les banques, les fonds d’investissement où les nouveaux géants de l’économie numérique, réalisent par son entremise leurs transactions sur les marchés monétaires, d’actions, d’obligations et de produits dérivés. Une telle concentration représente à la fois un formidable instrument de pouvoir et un immense danger systémique.

Aux dernières nouvelles, le candidat démocrate Joe Biden pourrait choisir en cas d’élection aux prochaines présidentielles le PDG de BlackRock, Larry Fink, pour le poste de Secrétaire du Trésor. À coup sûr des « fake news »…

L’avenir est-il aussi incertain que cela ?


(*) que le magazine Rolling Stones qualifiera alors de « vampires des abysses de la finance » (Vampire Squid),

5 réponses sur “BlackRock, un champion à suivre de près”

  1. Bonjour François,
    En ce 1er mai confiné, votre dernier paragraphe m’a fait penser que à Bernie Sanders qui s’est engagé à soutenir Joe Binden tout comme Hillary Clinton.
    Un équipage cahin-caha. Pas certain qu’ils soient tous à bord le jour du départ de la derniere régate.

    1. Bonjour Jean-Paul,

      Devant la perspective d’une réélection de Trump les électeurs choisiront, mais il est certain que Bernie Sanders a révélé une force qui ne va pas disparaitre comme cela, d’autant que la crise sociale est féroce et va s’approfondir.

  2. « Le système » aux commandes va se cadenasser, se suréquiper, se renforcer donc et il le fait déjà en profitant de la panique générale car c’est une situation rêvée pour lancer ses filets et ramasser ce qui tombe.
    Reste les forces insoupçonnées des éco-systèmes qui n’ont rien à voir avec « le système ».
    Merci François Leclerc de toutes ces lumières projetées dans les puits noir de la finances.

  3. « Black is black ». Vous avez aimé les saloperies de Blackwater (Academi) , vous aimerez celles de BlackRock !
    Il annoncent la couleur : on ne peut leur reprocher ça au moins. Ils ne bossent pas au « black ».
    Mais sont-ils involontairement des agents de type « black swan » de Nouriel Roubini ?

  4. Puisque l’on parle ici de champions, la grande distribution mettra en vente dès lundi 65 millions de masques. Ce qui bizarrement déplait à certains !
    Décidément ce pays est peuplé de gaulois réfractaires incapables de se réformer pour intégrer le Nouveau monde. Monsieur le résident de la République a bien du mérite à devoir supporter un tel peuple.

    Les masques tombent

    http://www.ordre.pharmacien.fr/content/download/500436/2275475/version/2/file/CP-CLIO-sant%C3%A9-masques.pdf

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